Ça fait longtemps, des années, qu'elle lutte contre son cancer : d'abord le sein, ensuite l'épaule, et puis... le cerveau.
Ça fait plusieurs mois qu'elle est à la clinique. Je l'ai appelé pour son anniversaire, mais elle ne souhaitait pas que je passe la voir ce jour là - je comprends, je la respecte.
Quelques jours plus tard, lors d'un petit dîner estival improvisé entre amis dans le jardin, son mari nous annonce que Natou ne va plus survivre encore longtemps, c'est la fin de sa vie. C'est incompréhensible pour nous que sa mère soit parti loin en vacances avec leur fils. Son mari se sent seul; nous décidons alors d'assurer une sorte de permanence pendant cette semaine du 15 août si vide, si chaude.
Le dimanche, je l'accompagne avec quelques amis. Natou est entubée, dosée à la morphine, elle ne parle presque plus, elle ne bouge que ses jambes, ses bras, sa tête. Elle communique avec ses yeux.
Je lui offre une petite éventail japonaise bleue avec une dessin d'une jolie vague. Elle l'agrippe dans sa main pendant des heures.
Je m'assois à ses côtés et je lui tien l'autre main, pendant qu'une copine lui masse les pieds avec une crème douce et parfumé. Son mari lui a fait une coquetterie : ses ongles de pied sont rouges, si jolis et si incongrus sur son lit d'hôpital, des bas de contention blancs sur ses jambes, la chemise bleue en papier synthétique jetable.
Elle me capte le regard quand je passe au pied de son lit.
"Je t'aime, Natou", je lui dit doucement. Et elle me répond, "Je t'aime aussi".
Je lui fais un bisou sur son front, elle m'embrasse sur ma joue. Je m'assois de nouveau, je prends sa main, et mes larmes coulent, je suis bouleversée.
L'amour, elle ne croit que dans l'amour, elle n'a pas d'autre croyance.
***
J'y retourne le jeudi après-midi, seule.
Elle m'a l'air encore plus abattu, il fait chaud - une linge humide est posée sur son front, couvrant un œil, sa tête est penchée sur son épaule.
Je m'assois à ses côtés, en lui tenant les mains.
Je sais qu'elle ne parle plus. Sa jambe tremble, ainsi qu'un muscle vers sa bouche, qui lui fait un petit rictus involontaire.
Je guette le moment de conscience entre ses somnolences.
Une vague de douleur la réveille; elle me serre les mains très fort. Je lui chuchote qui ça va passer, j'essaie de l'envoyer de la force.
Le temps passe, elle part, elle revient, j'écoute le bruit de la ventilateur.
Soudain, son oeil me regarde, elle me voit.
Je bredouille quelques phrases sur notre amitié, des jolis moments que nous avons partagés, toutes les fois que nous avons dansé ensemble dans les fêtes.... et je fond en larmes. C'est elle qui me donne de la force maintenant, je suis désolée de pleurer devant elle, en lui tenant les mains, à son chevet.
Mon regard est flou à travers mes larmes qui coulent encore sur mes joues, mais je ne lâche pas son regard à elle, son œil qui me fixe aussi.
Aucune certitude. Que dire ? Mes idées, ma vision de la mort : la tunnel blanche, l'énergie de l'âme qui se libère, qui se transforme... C'est sa mort à elle, d'après tout, pas la mienne.
Je suis juste là, avec elle, je respire avec elle, pour l'accompagner pendant ces quelques heures.
Elle a couvert ses yeux avec le linge, elle est fatiguée, elle veut dormir. Je m'éclipse sans lui dire au revoir: je ne suis pas sûre que je reviendrai, pour qu'elle ne voit plus mes larmes. L'amour, l'amitié, c'est l'essentiel.
photo © SpyPrincesse 2012
Natou est partie dans la nuit du 22-23 octobre 2012.
ReplyDeleteDoux rêves, ma belle !